Il ne faut surtout pas papillonner sur les réseaux sociaux un samedi soir après une vague d'attentats meurtriers. Suivant ce qui accroche l’œil, on peut finir par en trouver d'autres des terroristes, des terroristes de l'information, de l'opinion, de la récupération.
Et franchement, maintenant, pour l'avenir, j'ai quand même peur. C'est ce qui me fait dire que les terroristes de mercredi, jeudi et vendredi pourraient avoir atteint leur but. Quel but ? Faire partir en vrac une société qui tenait sur un fragile équilibre, dont le ciment était l’ignorance et l'insouciance.
À présent que chacun appelle à l'union nationale, à une sorte d'identité commune (non pas "je suis français" ou bien "je suis démocrate", ou encore "je suis pacifiste"), c'est comme si justement le ciment craquait encore un peu plus pour laisser tout partir à vaut-l'eau. Chacun y va de son "Je suis", certains avec des connotations d'admiration, ce qui est rassurant, et c'est sûrement la majorité, d'autres avec de la haine, de l'exclusion.
Personnellement, je ressens un malaise avec les "Je suis" pas si sincères.
Je ne suis pas policier, même si j'admire ceux qui défendent la paix et que je compatis aux victimes, je n'oublie pas tout de même ceux qui se montrent violents et répressifs.
Je ne suis pas juif, bien que je pleure ceux qui ont été tués vendredi, et suis scandalisé par les manifestations de haine à l'égard de ceux qui ont une culture forte liée à une religion, mais je n'élève pas l’antisémitisme plus haut que les autres racismes et n'accepte pas que le rejet de la haine serve à susciter d'autres haines.
Je ne suis pas Charlie, même si j'aimais leurs dessins et que je lisais régulièrement leurs articles disponibles sur internet, parce que la satyre fait du bien et dédramatise, même si je suis atterré par la violence qui s'est exercée sur des gens intelligents et dignes. Comment peut-on tuer Cabu ? Mais je reconnais sincèrement avoir aussi parfois trouvé mes limites dans certains propos et dessins, comme tout le monde, et puis je mets plus de valeurs dans d'autres publications.
Ne parlons pas des figures symboliques du racisme comme Martel, ou des noms des terroristes eux-mêmes. Ceux qui ont décidé de s'identifier à eux sont les pires ennemis de la paix et de la liberté. Non je ne suis pas ceux-là.
Je suis français, je suis démocrate, je suis pacifiste.
Chacun possède ses œillères, évidemment. Chacun aura vu dans les derniers événements l'émergence d'une menace concrète pour tous, mais chacun aussi en retire ce qui va avec son logiciel propre, et ses solutions, n'étant pas capable de comprendre ou d'accepter les autres.
Cela me terrifie, que ce qui est arrivé aux personnes présentes dans les locaux de Charlie Hebdo, aux personnes présentes dans le supermarché kasher, aux policiers, et même ce qui a fini par arriver aux trois fous qui ont tout déclenché, soit le départ de situations insupportablement dangereuses pour nos libertés.
Parce que déjà maintenant, au bout de 3 jours, tout le monde a abandonné les beaux principes d'unité au profit de la récupération.
Pour le gouvernement, c'est l'occasion parfaite de durcir les dispositifs de surveillance et d'intimidation. Un genre de "patriot act" pointe son museau.
Pour les chefs d'état et gouvernants étrangers, voilà une occasion merveilleuse de se racheter une virginité aux yeux de leurs populations, des Français, et de dissimuler tout ce qui les encombre en ce moment (le TINA de l'Europe menacé par Siryza et Podemos, les affaires de corruption, leurs propres manquements aux libertés...), et surtout de faire oublier les insultes à la paix et à la liberté qu'ils ont, pour beaucoup, commises.
Certains n'y voient que la confirmation du fossé définitif entre les "communautés", et tente d'en profiter pour aggraver le mal (les soraliens, identitaires, charlemarteliens, sionistes, djihadistes), étant chacun bavard et virulent, ils savent se faire entendre pour attiser les braises.
Les chefs de partis y trouvent le moyen de regrouper leurs ouailles et gagner du terrain.
Quand dès le début il a été dit "Attention, les amalgames doivent être évités", est-ce que cela à servi à quelque chose ? Aux vues des réactions, des tentatives de dégradations de lieux de cultes musulmans, des excès de sensationnalisme des journalistes en direct de la poche d'un des otages, du concours de grosseur de malheur entre la communauté des journalistes (qui deviennent tous satyriques et impertinents d'un seul coup), la communauté juive (il n'est pas question de religion, mais d'un méli-mélo plus ou moins lié désormais à l'émigration vers Israël), les policiers, et bien sûr les djihadistes (qui ont trouvé que ça fonctionne plutôt bien finalement de frapper en France), je me demande qui va gagner.
J'aurais espéré uniquement des réaction dignes, à la hauteur des musulmans que j'ai rencontrés ces jours-ci dans ma province lointaine, qui ne se sont jamais autant sentis français que maintenant. J'aurais espéré que tout le monde aurait compris que ces 3 assasins n'ont agit que pour le culte d'un seul dieu qui s'appelle la HAINE. Ils ont ça de commun avec d'autres, sionistes, fachos et pas mal de gouvernants (dont les nôtres). J'aurais espéré que les marches plus ou moins spontanées seraient sincères et seulement unitaires désormais, à l'image des toutes premières qui ne parlaient naturellement que de nos libertés. Elles était belles, émouvantes, vraiment républicaines et ouvertes. J'aurais espéré que tous ces chefs (états, partis...) auraient défilé de façon sincère et pour un idéal de liberté et de paix.
Une dernière chose : mon petit garçon de 4 ans que j'adore, s'appelle Charlie. J'espère que son prénom ne sera pas galvaudé désormais, qu'il ne va pas devenir le symbole de la perte de nos libertés, de l'accroissement des conflits racistes ou de l'oppression, de la fin de l'espérance. Les terroristes auraient gagné.