Ce hold-up qu'on appelle "ouverture"

Il est malin, il est fort, notre nouveau président ! Après une campagne menée tambour battant, où il fût le favori d'un bout à l'autre, sans jamais craindre d'aucun de ses adversaires, le voici porté aux nues avec un score confortable, l'autorisant largement à mettre en pratique ce qu'il avait annoncé. Mais non satisfait d'une telle victoire, le voilà qui continue ouvertement ses manœuvres dans le but de tout obtenir. Il veut tout, comme dit Schneidermann.

3, 2, 1, partez !

Les voix, il es a eues. La confiance des français, c'est maintenant que cela se joue, avec une hyperactivité rassurante : deux jours de yatch[1] et hop, c'est moi qui fais mon gouvernement (franchement, Fillon, c'est un Primat potiche, d'accord avec Glazman), hop je rencontre les partenaires sociaux qui ressortent méfiants mais satisfaits, hop je nomme à des postes avancés des personnalités appréciées ou moins à droite que mes promesses, hop un footing, hop un message cultureux au 7eme art, hop hop hop...

Ce sont les outils de sa gourmandise, les ministres, les syndicats, les baskets, les beaux discours et les copains patrons. Tous lui servent de levier pour orienter de quelques micro poils les masses populaires en partance pour le bureau de vote.

Et ne parlons pas des médias ! Quelle belle unanimité attentiste mais non sobre sur, justement, la sémillance, l'ouverture, l'inattendue surprise d'un homme qui aurait bel et bien l'intention en peu de temps de beaucoup changer les choses en France. Ces médias hypnotisés, subjugués, en admiration ne savent pas vraiment quoi en penser sinon que des choses plutôt positives après tout... Laissons faire et voyons où ça nous mène !

Mais il a plusieurs mois, plusieurs années d'avance, le coquin ! Son élection ne faisait déjà aucun doute pour lui... Libre à tout le monde de miser sur le bon cheval avant. Lui, il avance et son plan n'est pas encore terminé, il reste quelques étapes, que dis-je, quelques formalités.

Législatives...

Voyons... Nous avons eu 5 ans ferme de droite très à droite mais qui a vu ses moyens limités par la rue.

On remet ça ? L'assemblée qui se profile doit être identique sinon pire. Les moyens seront cependant meilleurs, puisque les mesures pour réduire la contestation sont en cours d'élaboration.

L'opposition, elle n'est plus à gauche. On a la gauche la plus conne du monde. La gauche de gauche n'a toujours pas compris que les 18% seraient tombés dans son escarcelle si seulement elle n'avait présenté qu'un seul candidat. La gauche parlementaire est inqualifiable (si : archaïque, népotique, nombrilliste, suiveuse, illusoire, dépassée, manipulée, explosée, atomisée, inexistante...). C'est à se demander si Mary Poppins n'aurait pas été réclamée par Iznogoud au moment opportun. Sa popularité irrésistible dans les médias la rendait incontournable dans ces primaires de pacotille, où d'ailleurs, il n'y avait vraiment personne (à part trois arrivistes, les autres arrivistes ayant lâché les pédales). C'est finalement grâce à elle que beaucoup de la gauche a switché ou a découvert qu'il existait un centre intelligent.

L'opposition est au centre. Pour l'instant. Car le seul qui a su se remettre en question, résister à tout ralliement, accepter le dialogue, c'est Bayrou. Mais il est au centre. Pour ce qui est d'une opposition énergique ce n'est donc pas ça. La gauche a quelques années avant de se refaire.

Nous en venons donc au paysage parlementaire qui nous attend. Et pour schématiser, la séparation des pouvoirs est remise en cause. Si le PS a des députés, c'est que des électeurs auront eu des réflexes de survie. Si le MoDem a quelques députés, c'est l'opposition qui migre au centre. Mais Bayrou devrait se méfier du PSLE, qui est un outil sarkozyste.

La dialectique de l'ouverture.

Quel coup de génie d'avoir mis Kouchner et Hirsch au gouvernement. Un coup de poker ahurissant. La droite s'est mal comportée (on ne peut pas s'attendre à mieux de la part de Devedjian), la gauche, pas mieux (c'était écrit d'avance... mais qu'est-ce qu'ils sont cons!). Kouchner, homme politique très populaire, en dehors des clivages, d'une sensibilité chevillée à gauche (plus même que bien des socialistes), homme d'action et de cœur, un des rares vraiment présidentiable de la gauche en somme. Kouchner, aujourd'hui, icône de l'ouverture sarkozienne, marionnette décisive dans l'échiquier du président. Je le crois sincère et encore sincèrement à gauche, et parfaitement capable de tenir le rôle qui lui a été attribué, au risque d'y perdre des plumes. Mais le message est suffisant pour les électeurs : Sarkozy pratique l'ouverture.

L'ouverture, ce fût le thème de Bayrou : des idées différentes mais un même objectif, un cap présidentiel qui permette de changer les choses tout en satisfaisant les sensibilités diverses des démocrates. Cette idée fût décriée par la gauche et la droite : risque d'immobilisme, opposition uniquement des extrêmes. Mais face au désir d'une politique plus présente dans le quotidien (voir les nombreux débats de campagne et les taux de participation), il me semble que les clivages sont dépassés, que la politique peut se mener sur un mélange d'accords et de compromis et que les gens sont libres de leurs opinions sans obligatoirement appartenir à des appareils. Laissons l'opposition se former toute seule.

L'ouverture de Sarkozy est toute autre. Elle n'est que l'idée de rallier à sa bannière plusieurs tendances. On retrouve donc la droite et l'extrême droite sarkozyste, le centre sarkozyste et la gauche sarkozyste. LA grosse différence, c'est que ce sont des ralliement qui doivent mettre de côté leurs sensibilité pour endosser le plan d'action du président. Sarkozy n'a pas repris l'idée d'un compromis démocratique. L'ouverture sarkozienne est un outil de désamorçage de l'opposition.

Qu'est-ce que l'ouverture ? Naïvement, je pense qu'il s'agit d'accueillir des idées différentes et de tenter de travailler avec, dans le but de trouver des solutions démocratiquement légitimes, sans avoir à monter systématiquement au front des luttes d'opinion. A moins que cela signifie plutôt que l'on bâillonne les oppositions en accueillant en son sein un panel rassurant mais acquis. Et le résultat : pas de rsique d'immobilisme puisqu'on ne change rien aux plans de départ, et que l'opposition élue est insignifiante, pas non plus d'oppositions extrémistes, on s'en est débarrassé depuis longtemps. Un boulevard de 5 ans s'offre à la droite et au libéralisme pour une longue et douloureuse tournante hexagonale (Sarkozy appelle ça "rendre à la France tout ce qu'elle m'a donné").

Miroir aux alouettes

N'oublions pas, Sarkozy, c'est les travaux forcés (oui, vous savez bien, "travailler plus", "la fin de l'assistanat", "deux propositions d'emploi" avant radiation, "le plein emploi dans 5 ans" pour tous ceux qui ne seront pas radiés, "valorisation des heures supp" forcément choisies délibérément), le creusement de la fracture sociale (défiscalisations à tour de bras des grandes fortunes qui investissent, des successions, des conditions précaires de travail comme les heures supplémentaires, franchise des remboursement de la sécurité sociale, précarisation "sécurisée" de tous les nouveaux contrats de travail, diminution intentionnelle des petites retraites les plus avantageuses) ou dévalorisation du service publique (réduction du fonctionnariat désigné comme responsable de la dette). Et j'en passe.

Ce ne sont pas des mesurettes gentillettes tout ça. C'est même susceptible de mobiliser la rue pendant de longs mois tout ça. Avant de mobiliser la rue, ça devrait déjà mobiliser les oppositions. Le plan de Sarkozy ne prévoit pas vraiment que l'assemblée fasse barrage : rupture, réformes et compétitivité ne riment pas avec débat parlementaire et amendements. Et comme je soupçonne le gars de savoir ce qu'il fait, non seulement les sondages prédisent une forte majorité présidentielle, mais il est inutile d'être sondeur pour saisir la gravité de la situation.

Que le MoDem ait trouvé en 10 jours près de 70 000 adhérents c'est un signe encourageant mais pas suffisant. Personnellement, je ne m'encarte pas, je reste à gauche, mais sans carte. Par contre je voterai Modem en Juin. D'ailleurs en Alsace ce serait stupide d'essayer la gauche, n'est-ce pas... Il faut rapidement que tout le monde se demande vraiment ce qui est le plus intelligent pour préserver le débat démocratique et un semblant de dignité de la France dans les années à venir.

EDIT quelques minutes plus tard :

Et pendant ce temps-là au PS...

Notes

[1] remake des diamants de Bolloré^WBokassa