Enfin en accord avec moi-même

Quelle intensité, que de déchirements, que de difficultés dans cette campagne ardente à trouver ses marques. Combien de fois Benoît Duquenne et tant d'autres m'ont signifié qu'être pour l'Europe, c'est être pour le Oui ? Idée imparable finalement, puisque qu'en effet, si nos institutions actuelles se sont penchées sur la question, c'est bien qu'avec la nécessité d'une constitution, alors que nous sommes à 25 pays et 350 millions de gens faisant partie de la Communauté, ne pas accepter leurs propositions c'est risquer moins d'Europe, l'exclusion, la fin de toute construction et de tout renforcement de la paix, de la justice sociale, etc.

Le politologue incontesté Alain Duhamel récement nous a rappelé les risques que prend la France du Non puisqu'elle « figurerait dans le bloc des pays minoritaires (au plus, cinq ou six sur vingt-cinq), [elle] n'aurait plus le privilège de présider la convention et [elle] serait la première nation à avoir réclamé une Constitution puis à l'avoir rejetée », tout en précisant qu'« il faut cesser, d'un côté comme de l'autre, d'agiter des épouvantails et de traiter les citoyens comme un troupeau de moutons apeurés » ! Mouais, faites ce que je dis... La quasi unanimité des médias est pour moi, qui ai l'esprit de contradiction, une cause de suspicion, et j'ai apprécié que cela soit souligné dans l'émission d'Arrêt sur images du 8 mai dernier.

Mais en regardant de plus près, le texte que j'ai enfin commencé à lire, je retrouvais l'enthousiasme de ma grande soeur, devant le chantier de la construction européenne : « Tout de suite, avant même de l'ouvrir, je me suis sentie fière, fière d'avoir chez moi ce texte élaboré par 25 pays. J'ai trouvé ça formidable. Dans l'ascenseur déjà, je le feuilletais fébrilement. »[1] Voilà le drame : tirraillé entre le Oui et le Non, tout en ayant déjà résolu de voter non pour de mauvaises raisons, mais ne voulant à aucun prix compromettre ce beau mariage entre nos nations, ni passer pour un anti-européen.

Alors des arguments, j'en ai lus, des débats, j'en ai suivi. J'y participais lorsque cela était possible, constatant que le Non très souvent était plus fort en moi, finalement, et que mes propres oeillères m'incitaient à écouter avec bienveillance les noniens et avec suspicion les ouistes. Bref, mon coeur penchait pour le Non, tandisque ma raison, celle qui ne veut pas faire plaisir aux faucons, celle qui doute, celle qui se dit qu'il en faut une et pourquoi pas celle-ci, me tire vers le Oui.

Cette oscillation, je l'ai retrouvée dans le blog de Daniel Schneiderman qui pendant 13 billets n'a pas su quoi voter, et l'a parfaitement exprimé : « Parce que ce choix, comme tous les choix, se ramène à un arbitrage entre des priorités. Voter oui, c’est faire passer la construction européenne avant tout le reste. Avant la répulsion que peut inspirer un texte imparfait, partial, hypocrite, technocratique, timoré, compliqué, tordu, pas lyrique, tympannisé jusqu’à l’envi par les medias. Avant la peur de l’horreur économique. Parce qu’on a décidé que la poursuite de la construction européenne devait passer avant tout le reste. »[2]

N'est-ce pas déchirant ?

C'est pourtant grâce encore à Daniel Scheiderman que j'ai trouvé l'appaisement. En effet, la découverte de l'existance d'un nouvel argumentaire puissance 10 en faveur d'un Non proactif et résolument destiné à sauver l'Europe, d'une toute nouvelle teneur, est exactement ce dont j'avais besoin pour réconcilier mon coeur et ma raison. Ce texte d'un garçon qui d'abord fût pour le Oui, et a changé d'opinion à la lecture du traité mais aussi en considérant les intentions cachés - que je soupçonnais déjà il y a quelques temps -, ce texte donc, est une bombe selon moi. Chacun des arguments pris à part me suffirait. Il y en a 19 et un subsidiaire. Le texte est long et étoffé. Pour piquer un peu plus la curiosité de ceux qui oscillent encore, quelques morceaux choisis :

  • Les arguments 7-8-9-10 portent « Sur la tentative de coup de force d'une légitimation rétroactive des Traités antérieurs, avec pour seule alternative de les ratifier ou...de les garder ! »
  • « Argument 5 : La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant Oui, les Français prendraient le risque énorme de laisser la voix du Non à une autre Nation, nécessairement moins sociale ou plus libérale que la France. »
  • « Argument 12 : La dénonciation d’un prétendu débat « franco-français » présuppose que la France devrait penser à l’Europe en faisant abstraction de la France : elle relève d’une conception de l’Europe fondée sur le déni de la réalité nationale, en particulier française. On ne construit pas l’Union avec un ou plusieurs autres sur la détestation de soi. »
  • « L’argument 14 montre que l’attachement définitif à l’OTAN signe l’arrêt de mort du projet d’Europe européenne. »

En 2002 nous allions voter au second tour des présidentielles avec une pince à linge sur le nez. Maintenant, je sais que le 29 mai je ne voterai pas pour le Oui avec un tube de vaseline. Pour sauver l'Europe, pour refuser l'erection du libéralisme en principe immuable, pour une véritable renégociation qui vienne du peuple, et non des institutions déjà établies, pour la Liberté, l'Egalité et la Fraternité, je voterai NON !

Merci Thibaud de La Hosseraye !

EDIT : les débats continuent entre autres chez Play, David

Notes

[1] Tu ne m'en voudras pas de te citer, j'espère ;o)

[2] C'est dans ce même billet qu'il est réfuté qu'un seul nonien n'ai dit clairement que le traité remettait en cause le droit à l'avortement.

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